L’art de l’écoute

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L’art de l’écoute

“Suniai sidh pir sur nath suniai dharat daval akash” 11 ème Pauri du Jaap Ji, Guru Nanak .

Guru Nanak chante dans ces vers le Yoga de l’écoute.

Dans le Jaap Ji, Guru Nanak relate poétiquement  une expérience de fusion qui dépasse complètement notre compréhension rationnelle. Il y déploie pour tous la technologie du Shabad Guru. Guru comme le son lui-même, la combinaison et la permutation des mots qui porte en elle même les codes vibratoires de la réalisation spirituelle.

Le mot Suniai est très proche de “shunya” qui signifie “zéro” en sanskrit. On pourrait dire qu’écouter est comme revenir au point zéro, synonyme d’humilité. L’invitation de Nanak est de reconnaître notre orgueil, la fantaisie de notre mental qui prétend tout savoir.

Cette capacité d’écoute est une qualité très féminine qui implique une ouverture à la réception. Permettre le vide, la non-existence. Comment pourrions-nous remplir une tasse qui est déjà pleine ?

Nanak ne suggère pas une pénitence dure, un jeûne ou des kriyas épuisants. Il ne prêche pas non plus la passivité.
Ce qu’il décrit est une expérience très naturelle et spontanée.

Il dit : “En écoutant, nous devenons un yogi parfait (un sidh), la terre (Dharat) ou l’éther (Akash)…” Une façon de dire que par shunya nous avons accès à la connaissance directe de tout ce qui existe.

L’époque de Guru Nanak et de ses successeurs (15 e – 17 e siècle) est celle de l’invasion musulmane  qui menace d’extinction de nombreuses sectes de cette region en tuant leur leader spirituels. Ainsi, cette période a vu la dégradation progressive des pratiques authentiques. Les rituels védiques et les différentes lignées d’hindouisme ont eu tendance à perdre leur essence et se sont perverties, manquants de maitres pour les raviver. Nombreux étaient les yogis davantage intéressés par les pouvoirs occultes et  la magie noire que par l’Éveil spirituel.

Les paroles confrontantes et ravivantes de Nanak sont très proches de celles d’Abhinavagupta qui était un grand sage de la tradition shivaïste au 10ème siècle. Intéressant car cela se passe plus ou moins au même endroit, au nord ouest de l’Inde, mais à quelques siècles d’écart.

Une des plus ancienne traditions connue dans cette région est le Shivaïsme tantrique. Certains écrits remontent à 3 siècles  avant J-C. Encore présente à l’époque médiévale (surtout au Cachemire), le courant s’est diluée par la suite, probablement à cause de l’invasion religieuse et aussi probablement parce que d’autres voies comme le Vishnouisme et le Shaktisme se sont développées.

Les textes Shivaïstes font probablement partie de la littérature spirituelle la plus raffinée que l’on puisse trouver en Inde. Par exemple, là où Samkhya décrit 24 tattvas comme  couches de la manifestation, le Shivaïsme tantrique en compte 36, Ces yogis  sont très précis et délicats dans la description des subtilités de l’expérience spirituelle. La plupart des écrits ont disparu, mais ce qui reste est d’une telle beauté que nous ne pouvons que supposer à quel point cette tradition a pu être somptueuse à ces heures de gloire.

Une des spécificités de cette approche est que chaque partie de la vie est considérée comme une occasion de reconnaître le Divin, Il s’agit d’une perspective non dualiste, c’est a dire que les pratiques ne sont pas fondées sur la volonté ou orientées vers un but. Certains appellent cela le chemin de la reconnaissance spontanée de la vérité.

La tâche principale du disciple est de cultiver la sensibilité et d’être en contact avec un Guru de la tradition. Lorsque le disciple est ouvert et écoute, la transmission spirituelle de la lignée se produit naturellement.

C’est justement ce que Guru Nanak chante dans le Jaap Ji et qui est répété maintes fois dans le Siri Guru Granth Sahib, socle de référence de la philosophie du Kundalini Yoga.

Peut-être que le message de Nanak et de ses successeurs prend davantage une  couleur dévotionnelle ( Bhakti  ) que ce que l’on peut trouver dans le Shivaïsme originel. La forme a évoluée et a été probablement  influencée par l’atmosphère culturelle et l’histoire de cette époque, mais l’essence du message est très proche…

Dans le Kundalini Yoga, les kriyas nous aident à ouvrir et affiner notre structure nerveuse et à déverrouiller le “système auto-sensoriel” en ciblant le cerveau et les glandes. Correctement pratiqués dans une attitude contemplative, ils augmentent considérablement notre disponibilité. Dans ce système, la transmission spirituelle se fait alors par le Shabad Guru.

Il semble bien que ce que Yogi Bhajan nous a légué est l’héritage pluri-millénaire de l’influx  spirituel du nord-ouest de l’Inde. Ainsi, nous trouvons dans le corpus de ces enseignements le reflet de l’histoire et des cultures propres à cette region si foisonnante sur la plan spirituel :

  • La  Bhakti est issue du mouvement spirituel de l’époque médiévale porté par Ramanand, Kabir et Nanak:  la nécessité de revenir au cœur et à l’émotion,  les anciens rituels ayant perdus leur sens originel. Une invitation à l’expression créative et passionnée : Kirtans, Bhajans, musique et poésie magnifique.
  • La Shakti, l’aspect martial et puissant  a permis un peu plus tard à  la communauté de se défendre contre les oppresseurs religieux et politiques. Endurance, capacité de projection et impact des mots sont autant de qualités précieuses pour les leaders contemporains.
  • Le Soufisme, en lien à la culture musulmane mais bien plus ancien, met l’accent sur l’abandon total à la volonté divine. il est une pure distillation de  l’essence de la la relation guru-Chela :  la révérence. Toutefois cela demande de revisiter la notion d’obéissance qui rebute tant d’occidentaux….
  • Sat Nam Rasayan, héritage de l’ancienne tradition Shivaïste, est le déploiement multi-dimensionnel de notre perception,  une exploration sans attente de la sensibilité,  un art de l’écoute.

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